Avez-vous entendu parler des petites bonnes d’Abidjan? C’est comme ça que sont nommées les filles partit du village vers la capital et autres grandes villes. Elles sont très jeunes, généralement entre 10 et 20 ans. La traite des petites bonnes d’Abidjan est un phénomène d’une telle ampleur que le rapport de l’indice mondial de l’esclavage place la Cote d’Ivoire en 3e rang régional et 8e mondial des pays ayant le plus fort taux de traite des personnes. L’esclavage moderne est une problématique globale*.
Et si l’Assemblée nationale ivoirienne s’est penchée sur ce dossier, ce n’est pas sans contestations et mécontentements. Le projet de loi fixant les conditions du travail domestique et portant organisation des agences de placement des travailleurs domestiques a été adopté par l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire le 08 juillet 2014. A Abidjan, sur 5 millions 60 milles habitants, c’est plus d’un million qui de travailleurs qui relèvent du secteur informel. Parmi ces derniers, 85% des travailleurs domestiques sont des femmes et des filles.
Venus d’un village lointain, là ou il n’y ni eau courante, ni électricité, elles arrivent là, dans les grosses maisons abidjanaises. Très vite, sous le même toit, cohabitent deux mondes, deux réalités opposées. D’un côté, dans la bâtisse rénovée, propre et digne, habitent les propriétaires et leurs enfants, tous bien habillés, scolarisés. De l’autre, les chambres de bonnes, insalubres pour la plupart, ternes et glauques. Ces filles ont le même âge que les enfants, simplement elles sont nés du mauvais côté de barrière. Alors elles subissent le sort de la vie, du matin au soir, dans un rythme effréné et inhumain, faisant la table pour les petits prince avant qu’ils se lèvent de leur dodo si profond, si précieux. Et on se console en se disant qu’elles sont quand même pas si mal, ayant ou dormir, de quoi manger et des vêtements recyclés.
Monique a 14 ans, elle fait partie de cette armée invisible, de ces travailleuses de sous-terrain (quatrième zone), de cette main d’oeuvre esclavagisée mais tolérée et justifiée. Monique, comme Fanta, Adjoua et Mariam sont à la fois cuisinières, filles de ménage, servantes, vendeuses, gardiennes de maison et gardiennes d’enfants; bref fillette de service. Filles de ménage domestiquée et que la logique économique justifie.
En effet, elles sont jeunes, issues de milieux défavorisés, de zones rurales, non scolarisées ou déscolarisées. Ce sont elles, des transactions marchandes qui servent à prévenir, limiter ou améliorer les difficultés économiques que vivent leurs parents restés au village. La logique de départ est pourtant bien fondée, du moins dans sa forme initiale. La traite des jeunes filles prend racine dans le “confiage”, pratique sociale présente dans plusieurs cultures locales et qui vise l’entraide familiale. Le confiage s’établissait au sein des familles élargies, entre les uns restés au village et pauvre et les autres partis en ville dans la perspective de gagner leurs vies. Les enfants restés au village étaient donc confiés aux membres de la famille en ville, afin de leur offrir de meilleurs conditions de vie: éducation et besoins de bases. Les crises successives, ajustements structurels, inflation, paupérisation et crises politiques ont transformés progressivement ce système d’entraide en système d’exploitation. Là où les jeunes filles étaient confiées pour leur garantir avenir meilleurs, elles se retrouvent enfermées dans un quotidien de misère. Sans éducations, sans argents, sans portes de sorties, juste une énorme responsabilité sur les épaules, celle de contribuer à la survie des parents qui reçoivent compensation pour les services de leur filles.
En ce 1er mai, fête du travail en Côte d’Ivoire c’est a ces petites mains invisibles qu’il faut penser. Les petites fourmis travailleuses, infatigables qui servent les mieux nantis pour qu’eux puisse travailler décemment. Première levée, dernière couchée, preneuse de miettes et de taloche. Il s’agit des petites bonnes d’Abidjan, de Lomé ou de Casablanca.
* »Les formes contemporaines d’esclavage – trafic de personnes, prostitution forcée, enfants soldats, travail forcé et asservi et utilisation des enfants dans le commerce international des stupéfiants – fleurissent encore aujourd’hui, en grande partie à cause de la vulnérabilité exacerbée par la pauvreté, la discrimination et l’exclusion sociale »
Aïssatou Dosso
Marlyatou Dosso
2 réflexions sur « « Les petites bonnes d’Abidjan » »