Avant tout propos, cet article n’est qu’un point de vue.
Parler d’Afrique pour un autre domaine que la géographie à l’échelle des continents, c’est un peu un abus de langage. Il faudrait plutôt parler d’un ou plusieurs pays en particulier, voire d’un ou plusieurs peuples en particulier.
Cependant, s’il est une chose que nous Afriains partageons tous, c’est une partie de notre Histoire. Ce qui n’est plus aujourd’hui qu’un encart sur une page de nos livres d’Histoire, et que beaucoup d’entre nous ont la chance de ne pas avoir connu, reste pourtant gravé dans la chair nos ailleux, la mémoire de nos grands-parents, de nos parents, et restera l’héritage de nos descendants.
Petit retour en arrière. Pendant plusieurs décennies, on a instillé à l’Africain qu’il ne valait pas mieux qu’une marchandise. Avec le temps, et quelques coups sur sa tête dure d’homme noir sauvage et borné, le fluide s’est dilué pour ne faire plus qu’un corps homogène, avec sa propre image de lui-même. Combien de jeunes filles s’entêtent à vouloir atténuer le noir de leur peau, comme s’il était possible de l’enlever avec un chiffon comme on nettoie de la suie?
On aurait pu croire qu’avec les pères de la Négritude et l’exemple des mouvements afro-américains des années 60-80, nous saurions aujourd’hui mieux apprécier notre reflet et nos capacités. Cependant à cette époque, combien d’Africains avaient accès à la télévision, ou savaient lire? Ainsi ces idées-là ne se furent pas aisément diffusées. Or, la population en Afrique subsaharienne s’est fortement accrue entre les années d’indépendance et les années 1990, et un grand nombre d‘enfants et de petits-enfants ont grandi avec cette perception de l’Homme africain. Et ces enfants et petits-enfants sont aujourd’hui parents ou grands-parents et continuent bien souvent d’inculquer ces préceptes aux nouvelles générations.
Dans la tradition africaine, la transmission du savoir des anciens aux jeunes se fait principalement de façon orale, et nous sommes éduqués pour écouter les plus âgés. Ainsi, encore aujourd’hui, avec un taux faible d’accès à l’éducation dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et un contenu médiatique local tourné vers l’occident, il n’est pas étonnant qu’un grand nombre de personnes continuent encore aujourd’hui de penser et de répandre ces idées fausses auprès de leurs enfants.
Ceux qui contestent cette vision corrompue sont le plus souvent ceux, qui ont eu la chance de pouvoir poursuivre leurs études à l’étranger et de se confronter au monde. Ils se sont rendus compte qu’ils ne sont ni meilleurs, ni moins bons que les autres, avec la même aspiration au bonheur.
Il est expliqué par les analystes économiques, les institutions internationales et les grands cabinets de stratégie que « le Continent Noir, c’est l’avenir ». Avec sa démographie galopante, assurée de mener à l’émergence de nuées de consommateurs d’ici 20 à 30 ans, puisqu’ils seront intégrés à un marché du travail dynamique résultant des réformes structurelles et des efforts de diversification croissants des économies actuelles. Ces rapports sont enthousiasmants, cependant ils posent une question essentielle : Qu’inculque-t-on aujourd’hui à ces consommateurs de demain ?
De surcroit, jusque récemment les chefs d’états d’Afrique subsaharienne n’étaient généralement pas formés à l’exercice du pouvoir ou aux applications de l’économie politique. Ceux qui avaient une vision pour leur nation et pour leur peuple ont vite été remplacés par des hommes exigus plus intéressés par leur maintien au pouvoir, leur « retraite » et celle de leur famille, que par les réformes structurelles à mettre en œuvre pour le développement.
Malheureusement dans un trop grand nombre de pays ce système se perpétue encore et c’est ce modèle qu’offrent nos hommes politiques à une jeunesse pauvre, peu éduquée et avec peu de perspectives pour l’avenir.
Enfin, lorsqu’on regarde les autres continents, il s’agit d’environnements intégrés, avec des alliances régionales solides dont la croissance n’est pas seulement basée sur les marchés intérieurs ou lointains. Or les entrepreneurs africains, à quelques exceptions près, peinent à entrer sur les marchés des pays voisins du continent, soit parce que la clientèle préfèrera se tourner vers des produits importés ou locaux, soit parce qu’ils ne disposent pas du réseau nécessaire sur place (pour arriver à faire des affaires, il faut souvent connaitre ou corrompre les bonnes personnes). Des entreprises comme Jumia ou MTN ont bien réussi à devenir des géants panafricains, cependant le tissu économique du continent est principalement constitué de PMEs. Comment, alors, tirer la croissance vers le haut si les pays africains ne peuvent pas profiter de celles de leurs voisins ?
Il serait donc prématuré de voir l’Afrique comme le nouvel Eldorado que l’on nous vante. Certes nous avons besoin de ce message d’espoir car il permet d’attirer les capitaux qui serviront au développement, mais il est tout aussi essentiel de travailler sur notre capital humain.
Si d’ici à l’échéance annoncée nous n’avons pas réussi à dépasser le cap des complaintes perpétuelles et de l’apitoiement, la BAD pourra prévoir tous les taux de croissance à 2 chiffres possibles, la richesse sera toujours détenue par une oligarchie minoritaire qui la redistribuera à sa guise comme un pourboire à ceux qui n’ont pas la chance d’être du bon côté du plafond de verre qui les séparent. Et nous serons toujours à la merci des vautours qui tentent de nous faire croire que nous sommes des benêts, de sorte que nous continuions à leur vendre ce dont ils ont besoin au prix qu’ils veulent bien nous consentir.
Je ne suis pas pessimiste et je garde espoir que cette patience et que cette résilience dont nous avons hérité de ces ailleux nous donnent un jour la force de bâtir des pays dont nous seront fiers et de nous réécrire des Histoires à l’encre de la véritable émancipation.
Je renverrai enfin à ce magnifique poème de David Diop « Afrique mon Afrique » qui conclut en ces mots:
« Alors gravement une voix me répondit
Fils impétueux cet arbre robuste et jeune
Cet arbre là-bas
Splendidement seul au milieu des fleurs
Blanches et fanées
C`est I` Afrique ton Afrique qui repousse
Qui repousse patiemment obstinément
Et dont les fruits ont peu à peu
L’amère saveur de la liberté. »
Alice.