#SilesNoirsparlaientcommelesBlancs
« Est-ce que tu parles européen? »
»Moi en safari en Europe… J’avais envie de tous les adopter »
« Ce n’est pas lui le blanc de l’autre fois? Comment veux-tu, ils se ressemblent tous! »
»C’est tes vrais cheveux? Je peux toucher? Ils sont super lisses, on dirait des poils de chien' »
»Ha j’adore l’Europe moi, ma grande mère avait une copine blanche en maternelle tiens! »
Des propos racistes entendus au quotidien par les Noirs et qui, détournés pour être appliqués aux Blancs deviennent subitement inappropriés.
À partir du hashtag #SilesNoirsparlaientcommelesBlancs, les internautes partagent leurs expériences en les réadaptant aux »blancs ». Un exercice ludique et efficace qui fait état d’un racisme ordinaire et toléré. Les manifestations du racisme ordinaire semblent inoffensives, presque drôles diraient certains. Pourtant ces propos relèvent d’un imaginaire collectif dont les bases sont intimement liées à l’idée de la suprématie de l’Homme blanc et dont les conséquences sont la marginalisation des »noirs » de l’Histoire du pays. Le noir reste toujours et encore symbole de »l’autre ». Souvent exotique, parfois »cute », peut-être agressif, mais toujours différent.
Le mois de l’histoire des noirs est l’occasion de parler des discriminations profondes et structurelles que vivent les populations noires au Canada. En même temps, la nécessité d’un tel mois est en elle-même problématique puisqu’elle souligne l’exclusion systématique des minorités noires du projet commun au Québec et au Canada. On ne cesse pourtant pas d’être noir les onze autres mois de l’année. L’invisibilité des populations noires sur la scène politique, artistique, académique est significative du déséquilibre de pouvoir dans l’État.
Les minorités visibles au Québec, perçues toujours sous le prisme de la couleur de peau subissent la négation de leur identité. Être Noir québécois d’origine haitienne? Haitien de Montréal? Afro-canadien? Afro-québécois? Québécois d’origine sénégalaise? Les déclinaisons sont aussi multiples que les identités. Mais qu’importe, toute cette belle diversité s’efface sous le diktat du noir de la peau.
Comment se fait-il que le blackface soit encore une pratique viable et tolérée sur la scène artistique québécoise? N’y a-t-il pas assez d’artistes noirs au Québec capable de faire »la job »? Ou tout simplement est-ce une manière raciste et »cheap » de représenter une population sous des traits grossiers et dégradants? Car bien que l’esclavagisme ne soit pas un référent culturel propre au Québec il représente encore un héritage meurtrier pour les populations noires. Et se »peinturer la face » en noir et se dessiner de grosses babines rouges démontre que les stéréotypes sont bien cocasses et ne se limitent pas à une époque coloniale symbolisée par tintin au Congo.
L’absurdité de référencer une personne uniquement par sa couleur de peau est beaucoup plus remarquable quand on parle d’une personne blanche. Prenons un québécois, un argentin et un russe. La différence culturelle et identitaire entre ces trois individus est connue et respectée de tous de telle sorte que jamais personne ne méprendrait un russe pour un québécois. Et inversement. Par contre, une confusion, un malaise dans la détermination du Noir au Québec qui se répercute sur la perception que les jeunes noirs ont d’eux-mêmes et de leur potentiel de réussite au sein de la société québécoise. Mais également sur la perception stéréotypée que la société québécoise a de la population noire comme étant un groupe homogène, un groupe à problèmes.
L’inversement des rôles est une méthode drôle et efficace de confronter l’absurdité de la réalité et de surligner qu’une phrase raciste reste raciste même enveloppée d’un mot ou d’une intention »cute » ou simplement d’ignorance.
Être noir définit encore aujourd’hui l’accès à l’éducation, à la justice, au logement, aux subventions, aux loisirs et la liste est encore longue. Dénoncer les propos humiliant, dépréciant et englobant pour combattre un racisme latent qui confine les populations Noires dans l’altérité et leur nie l’appartenance entière et complète à la société.
Aïssatou Dosso