Après dix ans de crise politico-militaire, exacerbée par quatre mois de combats d’une violence sans précédents, nous étions tous là, le regards hagards, l’âme vide. Tous là, a contemplé l’animosité de l’espèce humaine. Silhouettes sans vies, nous nous regardions chacun, avec dédain et méfiance comme pour dire «je sais de quoi tu es capable». Il faut dire que le contexte a pris le dessus sur le concept. L’ivoirien, fier et noble, celui qui hurlait sa non-violence avec un regard hautain… contemple ses mains qui tremblent encore de haine et de mépris. L’altérité avait pris le dessus sur la fraternité, l’humanité. Il y avait le nous et les autres. Ceux qui ne prenaient pas position, n’étaient que des marginaux soit hypocrites, soit imbéciles prônant l’espoir quand tout n’était plus que ruine. Puis, l’ultime coup d’éclat, celui qui s’impose est celui qui règne. On ébranle tout, enfonce le dernier clou et puis voilà… Retour à la normal si tant est qu’une telle chose existe encore. Il faut relancer l’économie, on cire les pompes, serre les dents, laisse échapper quelques murmures au passage puis on rejoint les autres.
La réconciliation par l’économie. L’argent rend heureux semble t-il. Alors on s’active. Investisseurs, emploi, demande, consommation, les billets plein les poches et le tour est jouer.
«Si cette machine folle est si bien lancée , c’est qu’elle a entrainé dans son sillage des élus oublieux de leur mission». Redonner aux victimes leur dignité et juger les coupables avec fermeté et efficacité afin que le «plus jamais ça» devienne réalité.
Et pourtant. Lorsque, soucieuse de mener à bien mon sujet de mémoire qui traite de la justice transitionnelle ivoirienne (et ses effets sur le droit des femmes) je constate que le dernier événement figurant sur l’agenda de la commission remonte à juillet dernier, je me désole du manque d’intérêt. Où sont nos élites qui nous promettent depuis bien trop longtemps de nous apporter le changement? Où est notre intelligentsia qui faillit à son devoir d’écrire l’Histoire avec honnêteté et engagement? Ils sont absents, l’esprit obstrué et les yeux éblouit par le reflet rayonnant du bling bling. Miracle ivoirien, mirage quand tu nous tiens. On apprend donc rien de l’Histoire. Miracle et mirage, nous le savons, plus que quiconque sont les deux côtés d’une même médaille. Lorsque la communauté international nous fait la courbette, miroitant la success story ivoirienne, on en oublie qu’il faut se rabattre vers l’intérieur pour mieux se propulser vers l’extérieur. Dans un monde de plus en plus globalisé, les capitaux fuient au gré des propositions les plus alléchantes. Aujourd’hui c’est Abidjan, demain Dakar et pourquoi pas Bangui? À la petite étincelle, nos investisseurs outrageusement fidèles à la Côte d’Ivoire ne manqueront pas de la cocufier au profit d’une autre terre fertile, en attendant la prochaine. Puis il restera plus que nous. Les nationaux, les locaux, tous ceux qui de près ou de loin sont touchés de plein fouets par les troubles sociaux que connait le pays. La problématique identitaire s’installe au coeur de ce débat creusant le fossé entre nous et les autres encore et toujours plus profondément. Dans leur mission d’accompagner le pays vers l’émergence, trop occupés à l’économique, les autorités oublient que c’est la société qui la fait fonctionner . Quelques années auparavant, lorsque tout était que luxe, calme et volupté (ou presque), dans la jeunesse fougueuse du pays, on apprenait à nos dépend que le «vivre ensemble» n’était finalement pas chose acquise. Les différentes cultures présentent sur le territoire qui existaient dans l’harmonie sont propulsées dans une zone de combat où le nom de famille est suffisant pour transformer l’autre en ennemie. Et voilà un conflit ethnique de plus. Alors que le pays doit sa renommée à ses flux migratoires, s’imposant comme un carrefour de civilisation, cette richesse se transforme en cauchemar.
Les quatre grandes familles linguistiques de la Côte d’Ivoire et leur extension régionale:
Sur la voie de la justice et de la vérité, ce nouveau mandat de la Commission doit s’imposer comme une thérapie national pour révéler les raisons qui ont conduit les uns a violer les droits des autres.
Dans cette optique, nous pouvons constater le travail qu’il reste à réaliser par la Commission pour compléter sa mission. Le processus des Commissions Vérité et Réconciliation se découpe en quatre parties principales.
1- Les poursuites pénales: à l’encontre des auteurs des crimes passés
2- Les enquêtes : dans le but de rétablir la vérité sur les exactions et lutter contre l’impunité et le sentiment d’injustice.
3- La réparation: sous formes de compensations (symboliques, individuelles, collectives), restitution des biens ou de réhabilitation.
4- Réformes institutionnelles: législatives et institutionnelles.
Processus des Commission Vérité et Réconciliation:
Deux ans après sa création, la CVR a effectuée des enquêtes sur 60 000 ivoiriens en vue de déterminer les périodes troubles de la crise. Plusieurs questions ont été posées aux populations sondées
1- Quelle est la période que la CDVR doit prendre en compte pour mener ses enquêtes ? :
La période qui en ressort est celle allant de 1990 (année du multipartisme) à 2011. Les populations souhaitent que la lumière soit faite sur les événements récents dans l’Histoire du pays qui ont marqués l’apogée des violences : 1990,1992, 1995, 1999, 2002, 2004, 2006, 2010 et 2011.
2-) Quelles sont les types de violations que la CDVR doit retenir pour ses travaux ?
Ce sont quatre catégories de violations qui sont idenfiées:
– les atteintes à la vie (96%)
– les atteintes aux droits économiques (80,2%), (expropriations, vols, pillages)
– les atteintes à l’intégrité physique et morale (73,3%) et les atteintes à la liberté(42,6)
3-) Au titre de l’importance qu’elles accordent à la repentance au pardon et à la justice : «le pardon n’exclut pas la justice» disent les populations interrogées. La solution de l’amnistie par la repentance n’a pas été choisie en Côte d’Ivoire. Mais les populations ont indiquées que le pardon peut être accordé par un repentir sincère.
4-) Quelles formes de réparations souhaitent les ivoiriens ? »
Les populations en ont proposé deux types, individuelles et/ou collectives :
-Des réparations morales (prise en charge psychologique, excuses publiques, réhabilitation, hommage aux victimes) et
-Des réparations matérielles (indemnisation, restitution des biens)
5-) La réconciliation est-elle possible en Côte d’Ivoire ?
Les Ivoiriens répondent par l’affirmative à 83%. La réconciliation est un chantier vaste et difficile mais ils y croient.
6-) Concernant les réformes institutionnelles à mener:
Les populations proposent des reformes institutionnelles en profondeur, notamment dans les seccteurs de:
– la justice( à 72% est perçue comme une institution corrompue)
– l’administration publique nationale
– les forces armées et de sécurité(77,1% des sondés pense que les forces de défense et de sécurité sont corrompues et politisées) ,
– la presse (63% des ivoiriens pense qu’elle manque d’impartialité),
– l’école ivoirienne (66,5 % estiment que le niveau de l’école a baissé en CIV, 57% des populations pense qu’elle corrompue…),
– la politique de gestion du Foncier (81% estiment que la gestion du foncier est problématique),
– la gestion de l’économie nationale (74% considèrent la vie est chère) et la gestion des affaires publiques (60% estime que les richesses nationales sont mal reparties.)
7-) Croyez-vous en l’avenir de la Côte d’Ivoire ?
Plus de 80 % des populations croit en l’avenir prospère de la Côte d’Ivoire(…)
Aïssatou Dosso